Textes de l’atelier d’écriture 2021-2022

L’Aphyllanthe a le plaisir de vous présenter une sélection des textes des participants à l’atelier d’écriture animé par Sylvie Reymond-Bagur depuis l’automne 2021.

La ville matière : Daniel Viard

Le chemin semblait avoir perdu sa fin, l‘endroit où il doit s’arrêter comme le font les chemins de bonne compagnie. Au sommet d’un raidillon apparut soudain une tache claire incrustée sur le vert sombre des arbres qui pouvait être au choix une ville, un village, un mirage. Rassurés enfin sur les bonnes intentions de ce chemin nous n’avions plus qu’à le suivre.

La tache disparut très vite dés la première descente pour réapparaître à la montée suivante. Ainsi commença un jeu de cache-cache qui s’agrémentant aussi de détours la montrait parfois plus lointaine comme si pour se jouer de nous elle s’éloignait à mesure de notre avancée.

Après un long moment, une grande patience et une bonne soif les contours de la tache s’estompèrent pour nous laisser voir plus nettement la forme et le relief d’un village. La masse d’argile commença à prendre forme comme si la main d’un sculpteur invisible s’était soudain mise au travail. Elle façonnait au rythme de nos pas des boulettes en forme de maisons plutôt petites mais aussi des habitations plus imposantes surmontées par une sorte de campanile, manche d’un couteau planté au milieu de l’ouvrage.

Argile claire, une peu jaunâtre, un peu blanchâtre, un village simple comme élastique encore en train de cuire à la chaleur d’un soleil accablant. Des maisons dispersées d’abord, puis serrées les unes contre les autres comme pour se protéger des ardeurs du feu à l’action. Une première rue large, crayeuse et vide. Et comme dans un four la chaleur et cette lumière que se renvoyait les fenêtres opposées.

Rue après rue la même monotonie, sculpteur sans inspiration, village uniformément terne et sans vie. Et toujours rien pour tuer le soif qui nous martyrisait le gosier….

Sous un arbre rabougri, un rare coin d’ombre, un vieux un peu ratatiné somnolait sur une chaise. Peut-être un vieux dur à cuire laissé en sentinelle ?

– Qué tal hombre ! où peut-on boire une grande bière fraiche dans ce pays ?

– Vous n’avez vraiment pas de chance. Aujourd’hui c’est la fête de village, ils sont tous partis dans les grands prés beaucoup plus loin pour boire et danser, manger, rire et s’aimer.

Daniel Viard : septembre 2021

Une scène avec un miroir : Claire Lasserre

Elle se regarda avec bienveillance et émotion et se remémora le chemin parcouru…

Lorsqu’elle a acheté cette maison qui l’éblouissait et la fascinait déjà , elle n’avait pas vraiment remarqué qu’il y avait, incrustés ou accrochés aux murs des différentes pièces des miroirs…et pas des moindres….de grands miroirs, imposants, occupant parfois tout un pan de mur.

Dans cette maison qui lui semblait magique, ces miroirs agrandissaient les pièces, les faisaient se répéter à l’infini….on n’en voyait pas la fin.

Elle fut subjuguée par la magie du lieu magnifié par la réflexion de la lumière éclatante, chaude, augmentant, s’il était encore possible, la luminosité de cette région pourtant déjà baignée de lumière.

Ainsi, elle tomba instantanément sous le charme, émue à l’extrême, de cette maison éclairée de mille feux, sans penser à l’essentiel !

Elle ne s’aimait pas, évitait le plus possible de se regarder dans un miroir, tant elle trouvait son image peu conforme aux canons de la beauté qu’elle s’était fixés. Comment faire, alors, quand, de la chambre au salon, de la salle de bains à l’entrée, votre image vous suivait partout ? S’éviter toute la journée, du lever au coucher, la belle affaire ! Regarder en face son corps, ses cheveux, ses mouvements, ses mimiques, sa façon de manger, de parler, son corps vieillissant ? Regarder son image, sa vérité, tout cela lui sembla difficile.

Bien sûr, dans sa prime jeunesse, elle se regardait beaucoup, s’observait, rectifiant une attitude, une mèche indisciplinée , un vêtement mal ajusté, très attentive à l’image qu’elle donnait d’elle-même dans le but de séduire. Elle se satisfaisait de son image.

Les années aidant, elle commença à s’éviter, à critiquer ceux qui se regardaient sans cesse dans les miroirs, même si vous étiez en conversation avec eux, le regard perdu dans l’image d’eux même, au lieu de soutenir votre regard. Elle se fuyait, se maquillait furtivement dans sa salle de bain, toujours plus vite, en passant…. Le reflet d’elle ne correspondait plus à ce qu’elle aurait voulu voir d’elle.

Comment faire, alors, dans cette maison aux miroirs qui captaient sans cesse son image ? Bientôt, on se serait cru dans un palais des glaces, presqu’une histoire de fête foraine. Sans compter qu’ils ne lui renvoyaient pas tous la même image ! Certains l’ avantageaient, d’autres non, ce qui la désespérait encore davantage.

Que faire ? Baisser les yeux toute la journée ou apprendre à s’aimer ?

La deuxième solution finit peu à peu à gagner du terrain, tout doucement, à son insu. Elle a remarqué peu à peu la beauté de son pied au lever, la courbure douce et harmonieuse d’un sein ou d’une hanche au saut du lit, la douceur nacrée de sa peau…Elle se sentit joyeuse.

Au salon les différents miroirs multipliaient les bouquets de fleurs qu’elle aimait composer, les objets, tableaux, tables de Noël étincelantes où les bougies se reflétaient à l’infini, comme si la vie n’était plus qu’une fête.

Peu à peu, elle s’est aimée et regardée parler, chanter, vivre, de plus en plus en paix avec elle-même.

Si on lui demande pourquoi il y a tant de glaces autour d’elle, elle ne vous répondra pas, mais sourira à son image en pensant au chemin parcouru. Elle se regarda penser, réfléchir, réagir aux discours des autres, mais aussi établir un dialogue avec elle-même , s’interroger et l’interroger…Que dit de moi ce miroir, se dit elle, cette image que je présente aux autres ? Miroir, mon beau miroir, que reflètes tu de moi ? Si je rougis, tu ne m’épargnes rien, je ne peux rentrer sous terre…tu me fais peur parfois ou me tranquillise, j’apprends ainsi à mieux me connaître en m’observant dans ton reflet. Ces images de moi qui défilent de pièce en pièce me suivent, me poursuivent, me décrivent, captant toutes mes émotions jour après jour, heure après heure….

Elle aima se regarder vivre avec joie et bienveillance, se surprit à répéter un discours, des répliques, à grimacer, à rire…

Miroir, mon beau miroir, avec toi, se dit elle en se regardant, j’ai gravi le sommet d’une montagne qui me semblait inaccessible, pour arriver à l’acceptation de soi.

Elle se sentit heureuse et fière d’elle-même.

Claire Lasserre : octobre 2021

Une rencontre et ses suites : Hélène Deprat

La première fois où elle le vit elle ne remarqua ni son élégant costume bleu marine, ni le foulard de soie dans le col de sa chemise blanche, ni même son parfum dont pourtant il s’aspergeait avec générosité avant chaque sortie en société. Non, ce qu’elle remarqua ce sont ses poignets. Plus exactement le poignet droit car il était assis à sa gauche et elle l’avait quasiment sous le nez. C’était un poignet d’un blanc mat, sans poils apparents, fin et nerveux, tantôt caché, tantôt dévoilé suivant le glissement de son bracelet montre en acier brossé. Le mouvement avait quelque chose d’hypnotique.

Elle avait lâché la conversation qui bruissait autour de la table, le phraseur et casse pieds diplômé en face d’elle s’étant emparé de la parole avec l’intention évidente de ne plus la quitter, elle saisit cette occasion de fuite qui lui était offerte. Avec reconnaissance ! Elle voguait loin du salon drapé de velours couleur aubergine et de la table aux porcelaines brillantes. Elle était partie sur une île grecque, se perdait dans un ciel bleu céruléum, elle voyait des statues de marbre aux gestes déliés, des corps de pierre douce et blanche comme de la craie, des mains aux doigts volontaires, des poignets fragiles. Fragiles ? Oui, fragiles, à demi cachés dans l’ombre des formes. Qui dit caché dit prêt à surprendre, mystérieux avec quelque chose de nouveau qui peut attiser un désir…

– « Vous nous avez quittés il me semble ? » proféra la voix du porteur de poignet

Alors elle tourna la tête et plongea dans un tout autre bleu, celui de ses yeux. Plus de cæruleum mais un violet profond, pas de ciel d’été mais une atmosphère d’orage. Cela ne l’effraya pas, elle n’était pas femme à redouter les gros temps. Et puis elle s’ennuyait tellement… Une conversation s’engagea, à mi voix, en marge du brouhaha excessif, presque un chuchotement, des propos sans importance mais très doux et cette douceur lui plut. Il posait beaucoup de questions, ses mots rebondissaient avec agilité, il cherchait à connaître ses goûts et cela la flatta. S’étant un peu approchée de lui elle se mit à percevoir son odeur qui était forte et pénétrante. Elle avait déjà senti ce parfum mais n’arrivait pas à mettre un nom sur cette fragrance pourtant connue. Elle cherchait sans trouver et pendant ce temps le célèbre jus développait tranquillement son don d’envoûtement. Il finit de la séduire.

– « Allons, se dit elle, ce dîner trop conventionnel pourrait avoir un heureux dénouement… »

Et puis vint le temps ou elle sut sans hésitation que « Terre » d’Hermès était le parfum de l’homme. Partout où il passait son sillage le suivait, le parfum l’annonçait. Elle avait appris à le reconnaître, d’abord attentive, pleine d’espérance, émue, et puis quelques mois après craintive et pleine d’angoisse. Le poignet droit, le beau poignet qu’elle avait adoré qui subtilement diffusait le parfum dans chacun de ses geste, ce poignet droit savait aussi frapper. D’un revers de main il guidait les gifles avec précision, avec une méchanceté raffinée, assurée, implacable !

Hélène Delprat : le 25 novembre 2021

La dame du kiosque : Jean-Pierre Mailhan

Succombant à ma facétieuse habitude du pseudonyme imposé, je la surnomme la gardienne du phare, la vestale du temple, voire le sphinx de l’île, et même Mona Lisa. En réalité, elle remplit une fonction plus banale : elle est recluse dans un minuscule kiosque à journaux. Frêle chandelle au fond d’une grotte, son visage impassible se confond avec les portraits des magazines qui l’entourent d’une ronde changeante. Que dis-je, ils ne l’entourent pas, ils l’envahissent, ils l’étouffent, ils l’asservissent !

Il est pourtant bien sympathique ce petit kiosque à journaux, minuscule ambassadeur de l’information et de la culture, jouant des coudes pour se faire une place au milieu des boutiques de prêt-à-porter, de décoration, de bijoux et de parfums. Un îlot de résistance cerné par les vagues incessantes de l’apparence et du superflu.

Régulièrement, j’aborde l’île pour y acheter mes périodiques et je me questionne à propos de la gardienne du lieu. Est-elle grande ? Petite ? Assortie de jolies jambes ? Que c’est frustrant de ne connaître d’une inconnue que son visage et la naissance de son buste ! Quant au caractère, sa situation génère une inquiétude : elle doit être fatalement résignée pour accepter un travail, assise sur un tabouret, dans la demi-pénombre, condamnée à n’échanger que des relations furtives avec les clients. Peut-être est-elle handicapée ? Non, fausse piste, l’exiguïté de son poste de travail est incompatible avec un fauteuil roulant.

Ma vestale de la presse ne profite pas de sa situation pour lire entre deux ventes ; elle regarde devant elle, toujours tristement, humblement. A quoi peut-elle penser ainsi ? A un espace lumineux ? A des rires d’enfants ? A une promenade sur du sable chaud ?

Mais, je me trompe, elle n’est pas gardienne de phare, mais en exil. En exil social, en exil affectif. J’ignore si, le soir, elle rejoint quelqu’un ; mais que peut-elle lui raconter ? Que peut-elle lui offrir de sa journée, de son coma quotidien ?

Quand la mauvaise saison revient, c’est pire. Elle quitte sa mini grotte pour s’enfoncer dans la pénombre hivernale. Elle est peut-être d’origine scandinave, rompue aux nuits interminables ?

A chaque fois que je lui achète un journal, je tente de trouver une lueur d’espoir dans ce visage fermé. Une fois, j’ai réussi à mendier un sourire, un véritable trait de lumière enchantant les lieux. Un sourire un peu triste mais charmant.

Si le grand horloger pouvait m’assister, il me bricolerait une coïncidence entre son départ de l’îlot et mon passage à proximité. D’un coup de baguette magique, il métamorphoserait la femme-tronc en piétonne et, m’engouffrant dans cette brèche temporelle, je m’autoriserais à l’aborder. Pas pour une vulgaire tentative de séduction, mais pour en savoir davantage, pour que le fantôme se fasse chair.

Mais, finalement, elle est peut-être heureuse ainsi, protégée par un cocon de feuilles de journaux, nichée au cœur d’un bouquet dont les pétales de papier sont adroitement détachés par des inconnus. Elle aime peut-être son terrier, sans présence d’employeur, sans devoir haranguer les passants, sans objectifs à réaliser.

Un jour, elle quittera définitivement son esquif et je ne la reverrai plus. Celui-ci sera englouti par la modernité ou confié à une autre sentinelle.

Je ne me souviendrai que d’une ombre et puis je l’oublierai, archivée parmi les passantes chères à tonton Georges…

Jean-Pierre Mailhan : décembre 2021

L’histoire absurde d’Oxymore : Françoise Millon

La petite est née en pleine nuit, aux alentours de sept heures du matin, à l’heure du café crème bien mousseux ou du petit blanc bien pisseux – je ne trancherai pas, même si j’ai un avis objectif sur la question. De toute façon, personne ne m’a demandé mon avis et je serais bien avisée de le garder pour les autres en ces temps d’intolérance modérée. Je cache d’ordinaire cet avis derrière un chapeau rouge à large bord car j’aime passer inaperçue.

Je portais donc ce discret chapeau rouge quand j’ai appris la naissance d’Oxymore. Elle est très grande, m’a annoncé fièrement la grand-mère qui, elle, est toute petite. Plutôt basanée. Moi, les tailles et les couleurs, je n’men soucie guère, comme dit mon cousin germain. Et justement, la petite grand-mère c’est ma cousine germaine, mais ce n’est pas la sœur de mon cousin germain qui s’appelle Paul et qui est fils unique et de bonne famille. Elle appartient à l’autre branche de la famille, ma cousine germaine, le côté paternel. C’est l’aînée d’une fratrie de quatre, même si elle n’a que des sœurs.

La voilà donc grand-mère pour la troisième fois et c’est encore une fille. Peut-être un garçon manqué, cette fois. On peut toujours espérer, même si moi je n’attends plus rien. Je prends les choses comme elles viennent. Et si elles ne viennent pas, je récite discrètement à voix haute une de ces prières athées dont j’ai le secret. Il arrive que ça marche, mais je ne cours pas après la réussite. La réussite c’est quoi ? Un échec raté, un râteau évité, un vide qui se remplit…

La petite est née en pleine nuit, réveillant sa mère pour la première fois et sans doute pas la dernière. La dernière fois que j’ai vu la future mère, elle se plaignait de mal dormir. Qui dort dîne, dit-on. Voilà pourquoi elle grossissait. La petite est très grande, s’est vantée la grand-mère en toute modestie. Mais comme j’avais l’intention de lui offrir des livres, je n’avais pas besoin de connaître sa taille ou la couleur de ses yeux bleus. Je n’avais pas besoin de connaître les goûts probablement insipides des parents gâteux. Je n’avais pas besoin puisque j’allais lui offrir de la lecture. De la littérature enfantine… mais pas trop, puisqu’elle est déjà très grande. J’allais participer à son éveil… mais pas trop car il faut bien la laisser dormir et se reposer les parents.

Françoise Million : le 13 janvier 2022

Animal et métaphores : Thérèse Martin

Une belle après midi au club de loisirs créatifs, l’ambiance est sereine…

La porte s’ouvre, une retardatrice… Oh mon dieu c’est Aglaé !

Habillée de gris comme toujours, ses grêles jambes moulées dans un leggings noir, les yeux globuleux et les lèvres en cul de poule. Elle s’assied, légèrement, et bavarde… de sa voix aigue qui ressemble à un sifflement, surtout quand elle s’emballe.

Elle parle, s’arrête puis reprend son discours… Que ça m’énerve !

Et je sens que la peau me démange…

Et voilà, encore aujourd’hui elle ne tient pas en place !

Et que je me lève, vais voir une copine puis la délaisse pour une autre. Elle virevolte et au passage tripote les ouvrages des unes et des autres, les abandonne… sans s’arrêter de susurrer et resusurer son chant disharmonieux qui me met les sens en alerte !

Enfer et damnation… D’un bond léger elle s’assied à coté de moi et sa patte poilue saisit mon ouvrage ! J’ai été bien élevée et je me retiens de la balayer d’un revers de main…

Elle insiste, tripote mes aiguilles, mes ciseaux, mes fils.

Argggg ! Un instant elle a posé sa main grêle sur mon bras… rien qu’un effleurement, mais insupportable et déjà le bras me cuit !

Ouf elle est partie taquiner quelqu’un d’autre… Elle décrète avoir faim et soif, on avance l’heure du goûter pour cette insatiable… au moins boire et manger la fera rester à sa place et se taire !

Enfin un peu de calme, mon imagination saisit l’occasion pour divaguer… Sa tasse de thé se transforme en une tasse de sang, bien rouge et bien sucré comme le mien, ses lèvres sont devenues une trompe et elles aspirent, aspirent avec délectation. Et je rêve d’une tapette géante…

Et paf Aglaé !!!!

Rejoins donc ton monde, celui des amateurs de sang frais, des emmerdeurs en tout genre et des indésirables !

Thérèse Martin : février 2022

Le zoom et le corps : Myriam Contal

Juillet 2015. Premier jour des vacances. Le moment prometteur d’une longue perspective de liberté.

Pour l’heure, je suis encore couchée, bien calée sur deux oreillers. Je découvre la métamorphose de Kafka. Je parcours avec intérêt les transformations de Grégor. le comique de sa situation, Grégor le gros insecte qui enquiquine tout le monde, ha ha ha……

Saisie comme souvent par un engourdissement, je replie le livre et ferme les yeux.

Je me laisse aller…C’est alors que je ressens une légère tension. Non, c’est mon imagination, oublions.

Bientôt je vais rejoindre l’Angleterre.

Ma lèvre accroche.

Londres, la Tamise.

Je passe un doigt sur une gencive devenue tendue et plus chaude.

Le British Muséum, Buckingham Palace.

Je n’y crois pas. Cela ne m’arrange pas. Il faut que je me lève.

Debout devant le miroir de la salle de bain, je soulève ma babine. Rouge, rouge vif comme les fesses d’un babouin, tendue comme un ballon de baudruche.

Mes larges incisives plantées dans cette viande lisse et luisante semblent s’enfoncer, submergées par cette chair boursouflée. Je regarde le spectacle. Jusqu’où cette tension bipartite ira-t-elle ?

Mes lèvres ne s’ajustent plus, je vais devoir circuler capot ouvert.

Est-ce un mauvais sort jeté par l’auteur de la métamorphose ? Ce boudin rend ma gencive étrangère. J’ai envie de percer cette peau, de savoir ce qui se nide à l’intérieur.

Peut être que le gonflement va s’amplifier. Grégor insecte et moi porcinette. J’ai envie de m’arracher ce groin, cette bouche.

Grotesque botoxée un max. J’ai envie de lacérer cette boursouflure, de la franger régulièrement pour qu’elle s’aplatisse comme un chien confus. Lui faire mal me soulagerait de cette angoisse croissante. Je voudrais jouir de sa défaite, de sa déroute, de son ressac. La martyriser pour l’audace de son attaque, la réduire à néant.

Son bouillonnement de sang a pincé ma mémoire, celle d’une parcelle oubliée de mon corps.

Myriam Contal : mars 2022